par Roger BRONCKAERTS*
Certains seront étonnés du fait que le cinéaste qui a illustré la Cité Ardente dans deux oeuvres si profondément enracinées s'appelle YU et soit le fruit d'un arbre généalogique à racines doubles, chinoises de père, wallonnes de mère. C'est pour répondre à cette légitime interrogation et pour habiller les oeuvres de la personnalité si caractéristique de leur auteur que nous vous convions à la lecture de cette courte biographie de GEORGES YU. Nous aurions voulu enrichir ce texte d'anecdotes multiples. Mais il nous eût fallu alors la place d'un roman tant le personnage que vous pouvez rencontrer au coin de votre rue, fuyant les mondanités et la solennité, a croisé sans toujours le vouloir les aiguillages de l'Histoire avec comme seule carte d'état-major, un instinct qui lui a toujours si bien servi. En effet, l'auteur des "Rues de Liège" est d'abord un instinctif que le "calcul" rebute. C'est à la découverte d'une vie romanesque que nous vous convions.
Au début de ce siècle, a CHANGSHA, ville du HOUNAN, province de la Chine centrale, la famille YU occupait une place enviable. Le grand-père de Georges YU était un lettré de la classe des Mandarins. Géologue de métier, il dirigeait une des plus grandes mines de Chine. YU Bin, le futur père de Georges, est né en 1900. Il a un frère qui deviendra Evêque catholique de NANKIN et deux soeurs toujours en vie aujourd'hui, XU et SHU-WEN. YU Bin est envoyé par son père en Occident en 1919. Afin d'étudier le français, il prend d'abord des cours à l'université de Lyon. Mais le grand-père connaissait la richesse des sous-sols wallons et la haute technologie pour laquelle nous étions renommés. N'avions-nous pas construit notamment en Chine le chemin de fer? C'est ainsi que Bin, après un an de cours à Lyon, suivra les cours de l'Université, Institut MONTeFIORE de Liège en classe d'ingénieur.
En 1925, alors qu'il terminait ses études, YU Bin qui entre temps a épousé Lambertine MEYNTJENS s'engage dans une campagne de boycott des produits japonais. Le mouvement dont il est le leader à Liège reproche notamment au gouvernement VANDERVELDE de ne pas faire pression sur le Japon pour arrêter ses velléités contre la Chine. Il appelle au blocus. Le gouvernement prend un arrêté d'expulsion du territoire. YU Bin et son épouse se réfugient à Paris. Quelques mois plus tard, les exilés peuvent revenir à Liège avec le blanc seing du gouvernement belge. LAMBERTINE était enceinte et le petit Georges allait donc naître dans la cité ardente.
Le père du petit Georges quitte Liège pour la Chine en 1930 alors que le gamin n'a que trois ans. Il répond ainsi à ce qu'il considère comme son devoir: défendre sa patrie contre l'envahisseur japonais qui s'est emparé de la Mandchourie. Après les hostilités, promet-il, sa petite famille le rejoindra... Mais les hostilités s'enchaînèrent.
En effet, après la guerre sino-japonaise, la guerre civile s'installe dans tout le pays, les "Seigneurs de la Guerre" et les brigands s'affrontent et mettent le pays à feu et à sang.
A l'anarchie va succéder la guerre civile entre les Nationalistes et les communistes de Mao. Les sentiments confucianistes et nationalistes de YU Bin font que, tout naturellement, il se retrouve dans les rangs de TCHANG KAI-Chek. Durant les accalmies, il prête ses dons d'ingénieur acquis à Liège aux compagnies occidentales qui avaient installé des comptoirs coloniaux en Chine.
Pendant ce temps, maman et Georges fréquentent la communauté chinoise forte d'une trentaine de membres qui s'est établie dans la ville. Etudiants et réfugiés se rencontrent régulièrement dans un local, rue Trappé, pour échanger leurs vues sur la Patrie en danger. Loin de rejeter la mixité culturelle, la maman l'entretient précieusement. Celle-ci est d'ailleurs renforcée régulièrement par les lettres du père absent. L'exemple le plus frappant touche à la pratique religieuse de la petite famille . En effet, les photos de la famille chinoise que le papa envoie sont révérées rituellement dans un cérémonial où confucianisme et catholicisme s'étreignent. Le "gamin" grandit et fait la douloureuse découverte de sa différence. C'était un jaune blanc et il dut quitter une première école parce que certains des condisciples ne manquaient pas de l'injurier notamment en chantonnant cette ritournelle "Un petit Chinois de Chine..." qui se terminait par des coups de pied. Maman le change alors d'école et il entre à "la Communale" où il dit avoir été heureux. Mais ce qui intéressait l'enfant par dessus de tout, c'était la séance de cinéma d'actualités du vendredi soir. Mère et fils allaient voir le "Tour du Monde en 60 minutes", où ils découvraient notamment les dernières images de la guerre en Chine. Le virus du cinéma lui fut ainsi inculqué au CINEAC qui deviendra le VERSAILLES.
Georges a treize ans quand commence les hostilités. Sa mère continue à "faire les ménages" tandis que Georges qui poursuit ses études à l'Athénée s'investit, par nécessité, du rôle d'adulte. Comme tous les innombrables sans le sou, il déploie des trésors d'ingéniosités pour survivre: longue marche vers l'Ardenne paysanne à la recherche de victuailles qui alimenteront le ménage ou serviront au marché noir. L'adolescent compense la frugalité alimentaire par la boulimie du savoir. Il campe à la bibliothèque, s'approprie Shakespeare, approche la langue anglaise et rêve de Londres, la cité qui souffre mais ne se rend pas. En même temps, accueillit dans des foyers aisés qui lui offrent la table d'hôte et où les discussions en sens divers vont bon train, Georges s'éveille à la pensée politique et à la pluralité des choix.
En 1942, Madame Yu, née MEYNTJENS, rencontre Monsieur Léonard BEAUPAIN avec qui elle se mariera après avoir acquis la conviction de la disparition de son premier époux. De leur union, naîtra le demi-frère de Georges, Eugène.
Entre temps, Georges a choisi son camp idéologique, la Résistance. Il s'engage dans le maquis hesbignon fin 1943 et y restera jusqu'à la libération de la Ville. Commence alors une "ère de prospérité" pour le jeune homme de 18 ans. Sa connaissance de la langue anglaise lui vaut de devenir traducteur dans l'Armée Secrète puis de travailler pour les stocks de vêtements et de nourriture de l'U.S. Army. Une aubaine, vous le devinez car Georges n'oubliait pas sa part et celle de sa famille. Il retrouve dans les cafés Zazous les copains musiciens qu'il avaient connus auparavant, Bobby JASPAR et Jacques PELZER.
L'Athénée terminée, Georges remplit deux valises et se rend en autostop à Paris. L'envie de jouer sur la scène des théâtres le tenaillait. Il y rencontre le Liégeois Roger DARTON et suit les cours de comédie au THEATRE SARAH BERNARDHT avec le célèbre professeur Charles DULIN. Il rêve de jouer la tragédie et ... Shakespeare. Le verdict du Maître est sévère. Cela donne à peu près ceci: "Mon petit, tu as de la présence sur scène. Mais tu es à côté de la plaque. Tu vois quand tu joues Tartuffe, on pouffe de rire. Quand tu interprètes KARAMAZOV avec ton physique asiatique, nous nous demandons si DOSTOIEVSKI était Mongol.
En fait, tu es un comique ... mais certes pas un tragédien". YU persiste et signe néanmoins. Quelques mois plus tard, il se présente chez Marcel CARNE qui prépare son film "La Fleur de l'âge" sur un scénario de Jacques PREVERT avec dans les rôles principaux ARLETTI, REGGIANI, ANOUK AIMEE... Le film connaît un fiasco commercial mais restera un grand classique inachevé... faute de moyens financiers.
Il ne quittera Paris que des années plus tard, accumulant les expériences théâtrales et artistiques. Il vit donc d'engagements aux théâtres, dans les studios de cinéma et de télévision: il sera notamment engagé comme assistant-réalisateur stagiaire à l'ORTF où il aiguisera ses premières armes télévisuelles. Il fréquente ainsi les artistes parisiens dont PREVERT, ARAGON, GUITRY, BENUEL, RENOIR qui l'engagera dans son film "Le déjeuner sur l'herbe". Mais son engagement politique à gauche et sa nationalité ne le mettent pas à l'abri du gouvernement français qui le menace d'expulsion. Henri LANGLOIS l'engage alors à la CINEMATHEQUE DE PARIS avec un contrat régulier. Nous sommes en 1954. Il acquiert ainsi sa troisième initiation au 7ème Art.
Pendant ce temps, en Chine, la famille YU connaît les bouleversements politiques qui amèneront MAO-TSE-TUNG au pouvoir. Le clan familial ne résiste pas à l'éclatement: une des tantes, XU, participe à la "longue marche" à côté du leader révolutionnaire tandis que l'oncle Evêque se réfugie à Formose... Les lettres se font de plus en plus rares puis Georges restera sans nouvelle de Chine pendant près de quinze ans.
Georges a 23 ans. Le cinéma le démange. Il emprunte une petite caméra à la Cinémathèque avec bobines de trente mètres. Il pense à sa ville, Liège, et avec des moyens artisanaux crée le film "LES RUES DE LIEGE" et le monte. Le Ciné-Club de Liège fondé par Hadelin TRINON et Marcel DEPREZ le présente aux cinéphiles liégeois. Le public l'accueille avec enthousiasme. Comme le film fut acheté par la télévision polonaise, le réalisateur se rend dans ce pays pour y tourner un reportage sur l'art mosan en Pologne. Georges rentre ensuite à Paris qu'il quittera dix ans plus tard pour des motifs familiaux. La RADIO TELEVISION BELGE l'engage dans son Centre de Liège avec un contrat de "freelance".
Une vie professionnelle de plus de 25 ans ne se résume pas en quelques lignes. Nous prions le lecteur de bien vouloir s'en référer au tableau récapitulatif des productions du Réalisateur afin d'avoir une vue exhaustive de l'ensemble de son oeuvre. Nous rappellerons tout spécialement ici sa présence dans les "DOSSIERS F" et "ITINERAIRES" produits par Liliane VERSPEELT. Nous accorderons une mention spéciale à l'une des productions de cette série, "Une nuit, ce jour-là". Ce documentaire nous montre les aspects les plus significatifs de la vie nocturne liégeoise. Le son en direct et l'absence de parti-pris du réalisateur en font un document exemplaire de ce que la télévision est capable de réaliser grâce à la légèreté des moyens techniques utilisés. Le reportage reçut les éloges de toute la presse et fut présenté sur des télévisions étrangères. Autre réalisation de grand intérêt, l'émission de Guy LEMAIRE, "Télétourisme". Avec cette série d'émissions d'un genre nouveau, il fureta dans notre région et dans le Monde à la découverte d'un tourisme intelligent avec une approche respectueuse et curieuse des gens d'ici et d'ailleurs.
Ces deux derniers adverbes de lieu résument bien la vision intime de Georges YU: il assume ses doubles racines avec bonheur. Aussi n'est-il pas étonnant de constater qu'il réalisa bon nombre de captations d'oeuvres théâtrales en langue wallonne. "Cette langue apprise dans le quartier de dju d'la Moûse, est pour moi si sensuelle, si directe, qu'elle ne m'a jamais quitté. J'aime parler wallon, même si, autour de moi, on s'en étonne ou, pire, si certaines personnes collet monté s'en offusquent".
C'est pourquoi vous trouverez ainsi à la Médiathèque une série d'oeuvres théâtrales signées YU. Mais si le "ici" le marque, le "ailleurs" le tarabiscote il devint ainsi le réalisateur de l'émission "ciao amici" à côté de l'émission de Selim SASSON, "Cinéscope".
Mais cette Chine paternelle, il fallait bien qu'il la découvre un jour. L'occasion lui sera donnée fin des années 80 d'accompagner, pour le Centre de Liège, le fameux "Train pour Pékin". A l'initiative d'un collectif estudiantin une centaine de jeunes liégeois se rendirent en Chine à la rencontre de la jeunesse et des réalités de la capitale asiatique. Mais ce n'est que deux ans plus tard, à l'occasion d'une autre mission sur la terre de son aïeul, que Georges rencontra une branche de sa famille. Il appris par ses tantes que son père était décédé en 1968. Depuis, les contacts ne manquent pas. Les deux racines se sont renouées.
Georges YU qui est retraité depuis trois (ndr : article écrit en 1996) ans ne put s'empêcher, pour notre plus grand bonheur, d'offrir à ses concitoyens et à sa Ville, un deuxième film où la tendresse sait aussi se faire sévère.
R.B.
*Roger Bronckaerts (1952-2003) alias Mounèje, était le fondateur de l'Association W'ALLONS-NOUS? asbl. Editeur et journaliste freelance, il était aussi écrivain.
Ecoutez le message laissé par Georges Yu à ses amis et proches.
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« J'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait en partant »
(Jacques Prévert)
« L'éternité, c'est long, surtout vers la fin »
(Woody Allen)
« Etre dans le vent, c'est avoir un destin de feuille morte »
(Jean Guitton)
EN 1992 : « J'ai 65 ans aujourd'hui. C'est pas mal à mon âge ? Hein !? »
« Je n'ai pas peur de la mort. Mais quand elle viendra, j'aime autant être absent »
(Woody Allen)
« Il faut s'intéresser davantage à l'avenir car c'est là qu'on y passera la plupart de ses jours »
(Woody Allen)
« Même si je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, je me battrai pour que vous puissiez continuer à le dire »
(Voltaire)
« Le voyage, c'est l'enfance retrouvée »
paraphrasant Beaudelaire
« Les gens ne meurent que si on les oublie »
« L'intelligence, c'est comme un parachute. Si on en n'a pas, on s'écrase »
(Pierre Desproges)
« Le drame du monde moderne, c'est que la bêtise s'est mise à penser »
(Jean Cocteau)
« La mort, ce n'est rien d'autre que la fin du monologue »
« Pire que le bruit des bottes : le silence des pantoufles »
(Max Frisch)
« Plus l'âme a des racines, plus haut va l'âme »
« Les Yankees sont passé de la barbarie à la décadence sans passer par la civilisation »
(Clémenceau)
« La gaieté, c'est la forme suprême du courage »
(Anatole France)
« Lorsque vous serez réunis, je serai parmi vous »
(Jésus)
« Préservez les riches de la misère car les pauvres en ont l'habitude »
(Pierre Dac)
« Il faut marcher pour que la terre tourne »
« Au restaurant, sur un nappe, Picasso dessine. Le patron demande : vous pouvez dédicacer ? Non, répond-t-il. J'ai payé le repas, je n'achète pas le restaurant »
« Le fou, c'est celui qui sait. Le sage, c'est celui qui cherche »
« Je ne parle pas aux cons, ça risquerait de les instruire »
(De Gaulle)
« Quand je vois le christ en croix, les bras m'en tombent »
(Claudel)
« On n'existe que dans le regard de l'autre »
(Albert Jacquard)
« Un mécontent, c'est un pauvre qui réfléchit »
(Talleyrand)
« L'argent est préférable à la pauvreté, ne serait-ce que pour des raisons financières »
(Woody Allen)
« Les hommes sont des femmes comme les autres »
(Marx Brothers)
« Le désespoir part toujours perdant »
« La vraie morale se moque de la morale »
(Pascal)
« L'homme est né pour le bonheur comme l'oiseau pour le vol »
(Proverbe russe)
« Pour voir les choses d'un peu plus près, il est bon de prendre de la distance »
« L'imagination est la mémoire de l'avenir »
(Robert Sabatier)
« Pour marcher au pas, pas besoin d'un cerveau. Une moelle épinière suffit »
(Albert Einstein)
« Jésus-Christ était fils de Dieu mais, de surcroît, issu d'une bonne famille, du côté de sa mère »
« Une des plus grandes fonctions de l'art est de révéler à chacun la grandeur qu'il y a en eux »
(Malraux)
« Si le bonheur t'oublie, rappelles-le »
(Prévert)
« Mourir pour le peuple, soit, vivre avec : jamais ! »
(Pierre Desproges)
« Où qu'elles te mènent, tes ailes auront raison. Pourvu qu'elles battent large. Sur un air de poisson volant »
« L'amour est charnel jusque dans l'esprit et spirituel jusque dans la chair »
(Saint Augustin)
« Si l'or, c'était de la merde, les pauvres n'auraient pas de cul »
(Proverbe portugais)
« Ceux qui ne comprennent pas le passé sont condamnés à le revivre »
(Goethe)
« La candeur sera-t-elle toujours une proie pour les vautours ? Je le crains. Alors me revient cet aphorisme : « La vengeance est un plat qui se mange froid »... encore faudra-t-il conserver de l'appétit ! … »
« Fort logiquement, les adversaires de l'avortement mettent en avant le DROIT A LA VIE. Fort logiquement, les mêmes sont souvent les adeptes les plus forcenés de la peine de mort… c'est la vie ! »
« Il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé »
(Albert Einstein)
« … de classe »
(Georges Yu)
« Ne te retournes pas sur ton passé, il pourrait te mordre »
(Jacques Prévert)
« Celui qui meurt cette année, en est quitte pour l'an prochain »
(William Shakespeare)
« Quand tu ne sais pas où tu vas, souviens-toi d'où tu viens »
(Proverbe africain)
« Une école qui ouvre, c'est une prison qui ferme »
(Victor Hugo)
« Quand le peuple se fâche, la bourgeoisie s'étonne »
« J'ai perdu mes certitudes mais pas mes illusions »
(Jorge Semprun)
« Depuis que les gens ne croient plus en Dieu, ils sont prêts à croire à n'importe qui »
Un proverbe russe dit : « Ce qui est important n'est jamais pressé, et ce qui est pressé n'est pas important »
« TO BE OR NOT TO BE »
(d'un certain William)
"Quand le sage montre la lune, le fou ne regarde que le doigt"
(proverbe chinois)
« Je vois les reflets d'une aurore dont je ne verrai pas le soleil »
(Chateaubriand)